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11
Jan

Vente de terrains à bâtir (TAB) par un particulier – Nouveau cas de taxation

Dans une décision précédente (CE, 9 juin 2020, n° 432596), le Conseil d’Etat a jugé que « la livraison, par une personne physique [comprendre non assujettie à la TVA], de terrains à bâtir est soumise à la TVA lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique. »

Dans cette affaire, le juge a considéré que devait être soumise à la TVA la cession, pour la somme de 1 307 400 euros, de dix-huit parcelles dont l’emprise globale avait été acquise entre 1977 et 1991 et que le vendeur avait fait aménager à compter de 2010 en procédant à des travaux de viabilisation d’un montant de 552 281, 89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle.

Nous avons commenté cette décision dans un précédent article.

Dans une décision CE, 9 et 10 ch, 9 décembre 2022, n° 459206, le Conseil d’Etat prévoit une hypothèse supplémentaire de taxation.

Le juge précise en effet que les démarches actives de commercialisation foncières, qui conduisent à la taxation à la TVA d’une opération menée par un particulier, comprennent également les démarches entreprises dans le cadre d’une opération d’aménagement d’un terrain à bâtir, d’une ampleur telle qu’elles ne sauraient relever de la simple gestion d’un patrimoine privé.

Les conclusions de la Rapporteure public permettent de bien comprendre les faits et cette nouvelle hypothèse de taxation. La lecture de ces conclusions est également indispensable à la bonne compréhension de la decision du Conseil d’Etat.

« M. et Mme T…, par ailleurs associés gérants de deux sociétés de construction et de promotion immobilière, ont conclu, en leur nom propre, le 2 décembre 1998, un acte sous seing privé en vue de l’acquisition d’un terrain de 11.800 m² sur le territoire de la commune de Labastidette (Haute-Garonne), sous diverses conditions suspensives dont l’une était liée à la révision du plan d’occupation des sols. Interrogés par les intéressés, les services de la direction départementale de l’équipement leur ont indiqué en mars 1999 que la zone comprenant ce terrain était soumise à une obligation de lotissement. Celui-ci a toutefois été classé en zone non constructible lors de la révision du plan d’occupation des sols opérée l’année suivante. Les époux T… ont malgré tout décidé de procéder à l’achat du terrain, par acte du 11 avril 2000, moyennant le prix de 53.967 euros. Sept années plus tard, un nouveau plan local  d’urbanisme a été établi, classant le terrain en zone à urbaniser à long terme. Afin d’obtenir un permis d’aménager, subordonné par le maire de la commune à la création de pistes cyclables, de chemins piétonniers et à l’édification d’un bassin de rétention, les époux T… ont procédé, en 2010, à l’acquisition d’un terrain mitoyen de 2030 m². Ce permis leur a été accordé en juin 2010, suivi de l’autorisation, le 23 décembre suivant, de diviser le terrain en 7 lots. Le 29 décembre 2010, les intéressés ont alors vendu l’ensemble des terrains, pour un prix de 730.800 euros, à la société de promotion immobilière Promotion T… and Co, constituée le 2 janvier 2007, dont ils sont associés et dont M. T… assure la présidence. »

Selon la Rapporteure publique, « les époux ont sollicité, et obtenu un permis d’aménager prévoyant la création de pistes cyclables, de chemins piétonniers et l’édification d’un bassin de rétention, après avoir ajusté, à cet effet, leur projet initial en achetant une parcelle mitoyenne au terrain d’origine. Or la conception d’un projet de cette nature, qui implique la planification de travaux d’une ampleur non négligeable, nous semble, compte tenu de sa complexité, constitutive d’une démarche de type professionnel, excédant la simple gestion d’un patrimoine privé. »

Cette opération aurait donc dû être taxée et ce n’est que pour une raison procédurale que dans l’affaire tranchée par le Conseil d’Etat, le pourvoi du ministre est rejeté.

10
Juin

Vente de terrains à bâtir (TAB) par un particulier – décision inquiétante du Conseil d’Etat

 

Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision qui confirme in fine la taxation à la TVA de la vente de TAB par un particulier, à l’origine non assujetti à la TVA, qui les avait viabilisés mais qui n’avait pas mis en œuvre des moyens de commercialisation de type professionnel (CE, 9 juin 2020, n° 432596).

Dans cette affaire, en 2011 et 2012, un particulier a cédé comme terrain à bâtir, pour la somme de 1 307 400 euros, 18 parcelles dont l’emprise globale avait été acquise entre 1977 et 1991 et qu’il avait fait aménager à compter de 2010 en procédant à des travaux de viabilisation d’un montant de 552 281,89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle.

Cette décision nous pose un sérieux problème dans la mesure où elle confirme, sous réserve de questions liées à la technique contentieuse, une taxation à la TVA dans une situation où il n’était pas du tout évident qu’une telle taxation puisse être confirmée en droit.

Au demeurant, compte tenu de l’application que l’administration fiscale faisait à l’origine du BOFIP, un tel redressement n’aurait pas dû prospérer jusqu’au Conseil d’Etat.

Si on met de côté le BOFIP, la décision du CE met en œuvre, sans pour autant le dire, les critères posés par un arrêt de la CJUE (il s’agit de l’arrêt du 15 septembre 2011, C-180/10, « Slaby », que nous connaissons bien en France puisqu’il est à l’origine de la suppression totale, au 31 décembre 2012, de la TVA immobilière des particuliers).

Or, nous pensons que cet arrêt ne pouvait vraisemblablement pas être appliqué, en tant que tel, en France et que face aux difficultés de compréhension de cet arrêt, le juge français aurait dû, à notre sens, poser une question préjudicielle à la CJUE.

L’arrêt Slaby donne en effet les critères de taxation de la vente d’un TAB, lorsque l’Etat membre a décidé de taxer les « assujettis occasionnels », c’est-à-dire les personnes non assujetties par ailleurs, qui effectuent, à titre occasionnel, une opération relevant d’une activité économique.

L’enseignement majeur de cet arrêt est que lorsqu’un Etat membre opte pour une telle taxation, « la livraison d’un terrain à bâtir doit être considérée comme soumise à la TVA […], indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, pour autant que cette opération ne constitue pas le simple exercice du droit de propriété par son titulaire » (point 35 de l’arrêt). « Tel n’est cependant pas le cas lorsque l’intéressé entreprend des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA. De telles démarches actives peuvent consister, notamment, en la réalisation sur ces terrains des travaux de viabilisation, ainsi que la mise en œuvre des moyens de commercialisation avérés » (points 39 et 40 de l’arrêt).

En clair, si un Etat membre décide de taxer les assujettis occasionnels, il ne peut pas pour autant taxer toutes les ventes. Ces ventes ne doivent pas s’inscrire dans le simple exercice du droit de propriété du vendeur (« opérations patrimoniales ») mais dans une démarche de commercialisation foncière qui nécessite la mise en œuvre de moyens similaires à ceux déployés par un professionnel.

L’arrêt de la CJUE devient malheureusement beaucoup plus complexe lorsqu’il traite des Etats membres qui n’ont pas opté pour la taxation des « assujettis occasionnels », puisque plusieurs lectures de l’arrêt sont possibles et que l’une d’elles serait que l’analyse développée à l’égard des Etats membres qui auraient opté, serait également applicable lorsque l’Etat membre n’a pas mis en œuvre la taxation des assujettis occasionnels (point 46 de l’arrêt), ce qui n’est bien évidemment absolument pas logique.

En matière de TVA « classique », la France ne taxe plus les assujettis occasionnels depuis le 1er janvier 1993 (modification de l’article 256 A par l’article 3 de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992).

En matière de TVA « immobilière », s’agissant de la période couverte par l’arrêt (2011-2012), la France ne taxait « de manière occasionnelle » que certaines ventes d’immeubles achevés depuis moins de 5 ans jusqu’au 30 décembre 2012. En revanche, les ventes de TAB n’étaient plus concernées (voir en ce sens, BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 10 à 30).

Dans ces conditions, une question préjudicielle aurait dû être posée pour savoir si des critères supplémentaires devaient être vérifiés et notamment, si le vendeur devait être préalablement assujetti à la TVA ou si l’activité en cause devait être exercée de manière permanente (voir le point 36 de l’arrêt, déjà cité, « […] indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services […] »).

Au final, en l’absence de question préjudicielle permettant de comprendre le sens de la décision Slaby, la décision du Conseil d’Etat revient à taxer un « assujetti occasionnel » alors que la France n’a pas fait usage de cette possibilité ouverte par la directive TVA.

En ce qui concerne le BOFIP, la décision du Conseil d’Etat ne permet pas de savoir si l’administration fiscale, dans sa défense, avait mis en avant les mêmes arguments que ceux contenus dans son Bofip. Comme la question de l’opposabilité de la doctrine administrative ne semble pas lui avoir été posée, le juge ne pouvait s’en emparer de lui-même.

Cependant, s’il faut bien reconnaître que la partie du BOFIP consacrée aux particuliers est d’une rédaction très complexe (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 60 et 70) ces passages étaient, jusqu’à présent, lus à la lumière de ce qui avait été prévu s’agissant des agriculteurs, à savoir absence de taxation sauf réunion de deux conditions cumulatives, (i) réalisation sur ces mêmes terrains des travaux significatifs, par exemple de viabilisation (représentant plus de 50 % du prix de vente) et (ii) mise en œuvre des moyens de commercialisation avérés (publicité, démarchage) (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 90).

Les observateurs avertis constateront qu’il s’agit d’un joyeux mélange. Les mêmes critères sont en effet appliqués pêle-mêle aux particuliers et aux assujettis (i.e. les agriculteurs) alors que pour ceux qui nous ont suivi jusqu’ici les deux devraient être traités différemment puisque la France ne taxe plus les « assujettis occasionnels ».

A titre de comparaison, un arrêt récent de la CAA de Bordeaux du 20 mai 2020, 18BX01002, retient à l’exact opposé que la vente par des particuliers de 49 parcelles viabilisées n’est pas soumise à la TVA dès lors que le second critère des moyens de commercialisation n’était pas rempli.

Nota du 12 janvier 2022 : arrêt cassé par CE, 3e ch., 14/12/2021, n°441861, Inédit au recueil Lebon (voir l’arrêt de renvoi CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 14/12/2023, 21TL24526, Inédit au recueil Lebon).

Pour conclure, espérons que l’administration fiscale remette de l’ordre dans le BOFIP pour préserver les réglages d’origine, et que le Conseil d’Etat, s’il devait à nouveau se prononcer dans une affaire similaire, pose une question préjudicielle à la CJUE.

Nota du 3 mars 2021 : voir dans le même sens que la décision du Conseil d’Etat s’agissant de la vente de dix-huit appartements construits par un bailleur au lieu et place d’un garage auparavant donné en location avec TVA, CAA de Marseille, 3ème ch., 04/02/2021, 19MA01906, Inédit au recueil Lebon.

Nota du 5 janvier 2022 : toujours dans le sens de la décision du Conseil d’Etat, voir également CAA de BORDEAUX, 4ème ch., 17/12/2021, 19BX03783, Inédit au recueil Lebon. Les faits sont cependant moins intéressants en raison du nombre de lotissements. Cet arrêt traite également de la régle d’assiette correspondant à la valeur vénale dans un cas de dation de terrain à bâtir.

 

27
Sep

TVA – vente d’immeubles restructurés dans le cadre d’une opération « patrimoniale »

 

Une affaire de responsabilité récemment jugée par la cour d’appel de Douai (Décision du 20 septembre 2018 SCI BBAK) rappelle que les ventes d’immeubles achevés depuis moins de cinq ans (les immeubles « neufs ») ne sont soumises à la TVA que si elles sont effectuées dans un « cadre professionnel », c’est-à-dire par des assujettis agissant en tant que tels.

Dans le cas contraire (vente effectuée dans un « cadre patrimonial »), la TVA n’est pas applicable et seuls les droits d’enregistrement sont dus, en principe, par l’acquéreur.

Si le principe paraît simple, sa mise en oeuvre l’est beaucoup moins.

Au cas particulier, le juge civil a considéré, contrairement à ce que soutenait l’administration fiscale, qu’un bailleur d’immeuble à usage d’habitation (donc exonéré de la TVA), non identifié à la TVA et qui a déclaré ne pas agir en tant qu’assujetti lors de l’acquisition de l’immeuble à restructurer, n’avait pas à soumettre à la TVA la revente de l’immeuble après restructuration, sans finalement l’avoir donné en location, et tout ceci dans le cadre d’une opération unique ayant mobilisé des moyens de commercialisation limités.

La présente décision est donc une belle illustration qu’une opération unique de promotion peut être effectuée dans un cadre patrimonial, non assujetti à la TVA (il existe une tolérance au BOFIP qui permet d’assujettir à la TVA une telle opération, au choix de l’opérateur).

La pratique montre que la question du statut TVA du vendeur est souvent ignorée par les services vérificateurs qui peuvent ainsi réclamer de la TVA à des vendeurs, en réalité « non assujettis » à la taxe, dès lors que les immeubles vendus ont l’apparence d’immeubles neufs, l’analyse qualitative des travaux n’ayant pas non plus été véritablement opérée.

Cette affaire démontre également l’importance de contester avec ténacité ces redressements, la voie de la responsabilité étant fermée.