TVA – Assujetti « agissant en tant que tel » – cession « accidentelle » d’un TAB par un bailleur
Pour entrer dans le champ d’application de la TVA, les ventes doivent être effectuées par un assujetti « agissant en tant que tel », c’est-à-dire dans le cadre de son activité économique. A l’opposé, la vente effectuée par un assujetti dans le cadre de la gestion de son patrimoine n’entre pas dans le champ de la TVA.
Le Conseil d’Etat vient de juger qu’entre dans le champ de la TVA, la vente par une société assujettie à la TVA au titre d’une activité de location immobilière, de terrains à bâtir qui s’étaient révélés impropres à l’usage qu’elle entendait en faire (à savoir construire les immeubles projetés, destinés à la location).
Le fait que l’objet social de la société ne comportait pas la cession de biens immobiliers et que les terrains aient été immobilisés et non pas inscrits en stock n’a pas été considéré comme pertinent « dès lors que l’activité d’achat de terrains à bâtir en vue d’y construire des biens destinés à la location […] comporte nécessairement le risque que certains d’entre eux se révèlent impropres à l’usage qu’elle entendait en faire et soient cédés afin d’assurer la pérennité de l’activité »
Le Conseil d’Etat a également jugé que la société ne pouvait pas se prévaloir des commentaires publiés au BOFIP selon lesquels « […] la cession d’un immeuble (ou d’une fraction d’immeuble) réalisée par une entreprise qui, à cette occasion, vise seulement à mieux tirer parti d’un bien devenu étranger à son activité économique peut être considérée comme hors du champ d’application de la TVA. » (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10 § 80)
Consulter la décision CE, 8 et 3 ch., 21 déc. 2022, n° 459476, SCI Vin Rox « Mentionné aux tables du recueil Lebon »
Pour comparer : CE, 9 ch, 5 janvier 2023, n° 459710 à la suite de CAA Lyon 21 octobre 2021, n° 19LY02821, SCI Mercure
Vente de terrains à bâtir (TAB) par un particulier – décision inquiétante du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision qui confirme in fine la taxation à la TVA de la vente de TAB par un particulier, à l’origine non assujetti à la TVA, qui les avait viabilisés mais qui n’avait pas mis en œuvre des moyens de commercialisation de type professionnel (CE, 9 juin 2020, n° 432596).
Dans cette affaire, en 2011 et 2012, un particulier a cédé comme terrain à bâtir, pour la somme de 1 307 400 euros, 18 parcelles dont l’emprise globale avait été acquise entre 1977 et 1991 et qu’il avait fait aménager à compter de 2010 en procédant à des travaux de viabilisation d’un montant de 552 281,89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle.
Cette décision nous pose un sérieux problème dans la mesure où elle confirme, sous réserve de questions liées à la technique contentieuse, une taxation à la TVA dans une situation où il n’était pas du tout évident qu’une telle taxation puisse être confirmée en droit.
Au demeurant, compte tenu de l’application que l’administration fiscale faisait à l’origine du BOFIP, un tel redressement n’aurait pas dû prospérer jusqu’au Conseil d’Etat.
Si on met de côté le BOFIP, la décision du CE met en œuvre, sans pour autant le dire, les critères posés par un arrêt de la CJUE (il s’agit de l’arrêt du 15 septembre 2011, C-180/10, « Slaby », que nous connaissons bien en France puisqu’il est à l’origine de la suppression totale, au 31 décembre 2012, de la TVA immobilière des particuliers).
Or, nous pensons que cet arrêt ne pouvait vraisemblablement pas être appliqué, en tant que tel, en France et que face aux difficultés de compréhension de cet arrêt, le juge français aurait dû, à notre sens, poser une question préjudicielle à la CJUE.
L’arrêt Slaby donne en effet les critères de taxation de la vente d’un TAB, lorsque l’Etat membre a décidé de taxer les « assujettis occasionnels », c’est-à-dire les personnes non assujetties par ailleurs, qui effectuent, à titre occasionnel, une opération relevant d’une activité économique.
L’enseignement majeur de cet arrêt est que lorsqu’un Etat membre opte pour une telle taxation, « la livraison d’un terrain à bâtir doit être considérée comme soumise à la TVA […], indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, pour autant que cette opération ne constitue pas le simple exercice du droit de propriété par son titulaire » (point 35 de l’arrêt). « Tel n’est cependant pas le cas lorsque l’intéressé entreprend des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services au sens de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA. De telles démarches actives peuvent consister, notamment, en la réalisation sur ces terrains des travaux de viabilisation, ainsi que la mise en œuvre des moyens de commercialisation avérés » (points 39 et 40 de l’arrêt).
En clair, si un Etat membre décide de taxer les assujettis occasionnels, il ne peut pas pour autant taxer toutes les ventes. Ces ventes ne doivent pas s’inscrire dans le simple exercice du droit de propriété du vendeur (« opérations patrimoniales ») mais dans une démarche de commercialisation foncière qui nécessite la mise en œuvre de moyens similaires à ceux déployés par un professionnel.
L’arrêt de la CJUE devient malheureusement beaucoup plus complexe lorsqu’il traite des Etats membres qui n’ont pas opté pour la taxation des « assujettis occasionnels », puisque plusieurs lectures de l’arrêt sont possibles et que l’une d’elles serait que l’analyse développée à l’égard des Etats membres qui auraient opté, serait également applicable lorsque l’Etat membre n’a pas mis en œuvre la taxation des assujettis occasionnels (point 46 de l’arrêt), ce qui n’est bien évidemment absolument pas logique.
En matière de TVA « classique », la France ne taxe plus les assujettis occasionnels depuis le 1er janvier 1993 (modification de l’article 256 A par l’article 3 de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992).
En matière de TVA « immobilière », s’agissant de la période couverte par l’arrêt (2011-2012), la France ne taxait « de manière occasionnelle » que certaines ventes d’immeubles achevés depuis moins de 5 ans jusqu’au 30 décembre 2012. En revanche, les ventes de TAB n’étaient plus concernées (voir en ce sens, BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 10 à 30).
Dans ces conditions, une question préjudicielle aurait dû être posée pour savoir si des critères supplémentaires devaient être vérifiés et notamment, si le vendeur devait être préalablement assujetti à la TVA ou si l’activité en cause devait être exercée de manière permanente (voir le point 36 de l’arrêt, déjà cité, « […] indépendamment du caractère permanent de l’opération ou de la question de savoir si la personne ayant effectué la livraison exerce une activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services […] »).
Au final, en l’absence de question préjudicielle permettant de comprendre le sens de la décision Slaby, la décision du Conseil d’Etat revient à taxer un « assujetti occasionnel » alors que la France n’a pas fait usage de cette possibilité ouverte par la directive TVA.
En ce qui concerne le BOFIP, la décision du Conseil d’Etat ne permet pas de savoir si l’administration fiscale, dans sa défense, avait mis en avant les mêmes arguments que ceux contenus dans son Bofip. Comme la question de l’opposabilité de la doctrine administrative ne semble pas lui avoir été posée, le juge ne pouvait s’en emparer de lui-même.
Cependant, s’il faut bien reconnaître que la partie du BOFIP consacrée aux particuliers est d’une rédaction très complexe (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 60 et 70) ces passages étaient, jusqu’à présent, lus à la lumière de ce qui avait été prévu s’agissant des agriculteurs, à savoir absence de taxation sauf réunion de deux conditions cumulatives, (i) réalisation sur ces mêmes terrains des travaux significatifs, par exemple de viabilisation (représentant plus de 50 % du prix de vente) et (ii) mise en œuvre des moyens de commercialisation avérés (publicité, démarchage) (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 90).
Les observateurs avertis constateront qu’il s’agit d’un joyeux mélange. Les mêmes critères sont en effet appliqués pêle-mêle aux particuliers et aux assujettis (i.e. les agriculteurs) alors que pour ceux qui nous ont suivi jusqu’ici les deux devraient être traités différemment puisque la France ne taxe plus les « assujettis occasionnels ».
A titre de comparaison, un arrêt récent de la CAA de Bordeaux du 20 mai 2020, 18BX01002, retient à l’exact opposé que la vente par des particuliers de 49 parcelles viabilisées n’est pas soumise à la TVA dès lors que le second critère des moyens de commercialisation n’était pas rempli.
Nota du 12 janvier 2022 : arrêt cassé par CE, 3e ch., 14/12/2021, n°441861, Inédit au recueil Lebon (voir l’arrêt de renvoi CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 14/12/2023, 21TL24526, Inédit au recueil Lebon).
Pour conclure, espérons que l’administration fiscale remette de l’ordre dans le BOFIP pour préserver les réglages d’origine, et que le Conseil d’Etat, s’il devait à nouveau se prononcer dans une affaire similaire, pose une question préjudicielle à la CJUE.
Nota du 3 mars 2021 : voir dans le même sens que la décision du Conseil d’Etat s’agissant de la vente de dix-huit appartements construits par un bailleur au lieu et place d’un garage auparavant donné en location avec TVA, CAA de Marseille, 3ème ch., 04/02/2021, 19MA01906, Inédit au recueil Lebon.
Nota du 5 janvier 2022 : toujours dans le sens de la décision du Conseil d’Etat, voir également CAA de BORDEAUX, 4ème ch., 17/12/2021, 19BX03783, Inédit au recueil Lebon. Les faits sont cependant moins intéressants en raison du nombre de lotissements. Cet arrêt traite également de la régle d’assiette correspondant à la valeur vénale dans un cas de dation de terrain à bâtir.
Bailleurs exonérés de la TVA – qualité d’assujetti à la TVA – tolérance du BOFIP – rescrit négatif
La pierre angulaire de la TVA applicable aux immeubles est la notion d’assujetti à la TVA.
Nous recherchons cette qualité chez le vendeur pour déterminer, notamment, si la vente doit être soumise à la TVA lorsqu’il s’agit d’un immeuble achevé depuis moins de 5 ans ou d’un terrain à bâtir.
Nous recherchons également cette qualité chez l’acheteur pour savoir s’il est en droit de prendre un engagement de revendre ou de bâtir ou encore, pour les plus experts, pour déterminer s’il est redevable d’une livraison à soi-même lorsqu’il fait construire un immeuble (hors VEFA) au titre duquel il ne pourra pas intégralement récupérer la TVA (pour simplifier, pour déterminer si, en principe, il échappe à une mauvaise nouvelle !).
La qualité d’assujetti n’est cependant pas la notion TVA la plus évidente.
Celle-ci résulte de l’exercice à titre habituel et indépendant d’une « activité économique », notion qui recouvre notamment la location d’un immeuble, le reste étant sans importance (régime applicable en matière d’impôt direct, bénéfice d’une exonération de TVA, etc.).
A ce stade de l’analyse, il faut comprendre que, sur le base du code général des impôts et de la directive TVA, les bailleurs sont des assujettis à la TVA, y compris lorsque la location est exonérée de la taxe (l’habitation, au premier chef, ou encore des locaux nus à usage professionnel lorsque le bailleur n’a pas formellement opté pour la TVA).
Le BOFIP a cependant prévu une tolérance qui permet à certains bailleurs exonérés de la TVA, qui ne sont pas assujettis au titre d’une autre activité, de se considérer comme non assujetti (certains pourraient sourire au souvenir d’une lessive qui lavait plus blanc que blanc !).
Cette tolérance n’est cependant pas totalement évidente à circonscrire. Certains passages du BOFIP laissent à penser que le bailleur exonéré peut, de manière générale, se considérer comme non assujetti alors que d’autres passages semblent réserver cette tolérance à une seule catégorie de bailleurs. Nous citons à cet égard le BOI-TVA-IMM-10-10-10-10-20120912 § 40 :
« Une distinction majeure est ainsi opérée entre l’activité d’un investisseur agissant à titre privé, qu’il soit individuel ou organisé en société civile, et qui tient au simple exercice du droit de propriété (qui demeure en dehors du champ de la directive), et celle d’un investisseur professionnel dont les opérations constituent une activité économique en ce qu’elles sont effectuées « dans le cadre d’un objectif d’entreprise ou dans un but commercial ».
A la lecture de ces commentaires, on comprend que le particulier qui donne en location une maison ou un appartement en exonération de TVA, peut se considérer comme non assujetti.
Quid en revanche de la société qui en loue plusieurs ? qu’elle a fait construire pour des locataires professionnels (le monde médical, par exemple) ?
Un rescrit a été sollicité dans une affaire particulière qui mettait en cause une société qui donnait en location des immeubles qu’elle avait fait construire, auprès de laboratoires de biologie médicale. La location était exonérée de la TVA et la question se posait de savoir si la société devait déclarer des livraisons à soi-même, ce qui générait un surcoût de TVA. La société poursuivait un objectif patrimonial. Néanmoins, le nombre des immeubles et leur nature soulevaient une question quant au bénéfice de la tolérance évoquée ci-dessous. Une demande de rescrit avait été déposée pour sécuriser le point.
Un premier rescrit négatif a été reçu. La société était assujettie à la TVA et la livraison à soi-même devait être déclarée.
Estimant que la réponse n’était pas satisfaisante, dans la mesure où elle pouvait être considérée comme vidant la tolérance de sa substance, un second examen avait été demandé.
A la suite d’un collège national, il a été indiqué à la société que : « l’objet social de la société consiste en la réalisation d’opérations d’acquisition, construction et transformation d’immeubles en vue de leur location, de sorte que la perception de loyers entre pleinement dans le cadre d’un objectif d’entreprise et ne peut être considérée comme relevant de la simple propriété des biens. » (rescrit service juridique de la fiscalité du 26 juin 2019).
TVA – vente d’immeubles restructurés dans le cadre d’une opération « patrimoniale »
Une affaire de responsabilité récemment jugée par la cour d’appel de Douai (Décision du 20 septembre 2018 SCI BBAK) rappelle que les ventes d’immeubles achevés depuis moins de cinq ans (les immeubles « neufs ») ne sont soumises à la TVA que si elles sont effectuées dans un « cadre professionnel », c’est-à-dire par des assujettis agissant en tant que tels.
Dans le cas contraire (vente effectuée dans un « cadre patrimonial »), la TVA n’est pas applicable et seuls les droits d’enregistrement sont dus, en principe, par l’acquéreur.
Si le principe paraît simple, sa mise en oeuvre l’est beaucoup moins.
Au cas particulier, le juge civil a considéré, contrairement à ce que soutenait l’administration fiscale, qu’un bailleur d’immeuble à usage d’habitation (donc exonéré de la TVA), non identifié à la TVA et qui a déclaré ne pas agir en tant qu’assujetti lors de l’acquisition de l’immeuble à restructurer, n’avait pas à soumettre à la TVA la revente de l’immeuble après restructuration, sans finalement l’avoir donné en location, et tout ceci dans le cadre d’une opération unique ayant mobilisé des moyens de commercialisation limités.
La présente décision est donc une belle illustration qu’une opération unique de promotion peut être effectuée dans un cadre patrimonial, non assujetti à la TVA (il existe une tolérance au BOFIP qui permet d’assujettir à la TVA une telle opération, au choix de l’opérateur).
La pratique montre que la question du statut TVA du vendeur est souvent ignorée par les services vérificateurs qui peuvent ainsi réclamer de la TVA à des vendeurs, en réalité « non assujettis » à la taxe, dès lors que les immeubles vendus ont l’apparence d’immeubles neufs, l’analyse qualitative des travaux n’ayant pas non plus été véritablement opérée.
Cette affaire démontre également l’importance de contester avec ténacité ces redressements, la voie de la responsabilité étant fermée.